Santé

Les plantes médicinales, une affaire d’État ?

J’avais déjà écrit un article en 2023, dans lequel je m’interrogeais sur les raisons qui conduisent encore la France à limiter à l’extrême l’usage de l’herboristerie. Cette semaine, en rentrant chez moi après deux jours d’absence, j’ai trouvé une partie des plantes médicinales qui poussaient devant chez moi saccagées. Ce n’est malheureusement pas la première menace que je reçois sur le sujet depuis que j’ai pris l’habitude de cultiver devant chez moi des plantes, notamment des plantes médicinales.

La pratique de l’herboristerie est déjà sévèrement réglementée en France, puisqu’elle est réservée aux pharmaciens d’officine. C’est-à-dire qu’on interdit à tout le monde, y compris à des docteurs en pharmacie, de conseiller des plantes médicinales sans être installé comme pharmacien (donc dans le respect du quota d’un pharmacien pour 2 500 habitants). Des docteurs en pharmacie ont, d’après la presse spécialisée, déjà été condamnés pour avoir voulu conseiller des plantes médicinales sans avoir d’officine en pharmacie.

Ce qui est puni en France, dans la plus grande hypocrisie, n’est pas de vendre des plantes médicinales, mais de donner un conseil sur la manière de les utiliser. N’importe qui peut vendre des plantes médicinales, même Ducros ! Mais recommander comment les consommer pour se soigner non… C’est donc à chacun d’être savant sur le sujet.

C’est comme si on généralisait la voiture sans permis, parce que, pour dissuader d’utiliser la voiture, dans notre pays, il est désormais autorisé de vendre des voitures, mais plus d’apprendre aux autres à conduire. C’est à chacun d’apprendre dans un coin de sa cour et de sortir quand il pense qu’il sait conduire…

Autre absurdité : vous pouvez écrire sur le fronton de votre boutique « Herboristerie », mais vous ne pouvez pas vous dire « herboriste ».

Ces absurdités ont été maintes fois dénoncées dans la presse de santé ou dans la presse défenseuse de l’environnement. Les sénateurs ont semble-t-il essayé de faire évoluer le sujet, toujours sans succès aujourd’hui.

« lI serait pertinent de créer le métier d’herboriste en France, estime Jean-Luc Fichet, sénateur du Finistère. Herboristes et pharmaciens sont complémentaires. L’herboriste est au pharmacien ce que le psychologue est au psychiatre, il n’est pas question de concurrence entre les deux. Il faut faire exister légalement les cinq écoles françaises d’herboristerie, former les producteurs qui font de la vente directe à la ferme ou au marché, remettre de la connaissance ! » (source WeDemain)

Me voyant menacée puis attaquée sur ce sujet devant chez moi, que dois-je penser ? Que certains se sentent légitimes à mener une forme de chasse aux sorcières ?

Une citation, issue de cet article, résume ce qui, je crois, pourrait être une explication de ce que certains veulent casser en essayant de détruire l’herboristerie et la culture de plantes médicinales en France.

« À partir des années 1970-1980, explique Ida Bost, auteur d’une thèse en ethnologie sur l’histoire de l’herboristerie, l’herboristerie s’est chargée d’un nouveau sens. La question fondamentale n’est pas de soigner, mais de prendre soin de soi. Toucher, sentir, goûter la plante participe à cela. On rétablit un lien avec la nature. »

C’est aussi cela pour moi que représentent ces quelques plantes qui poussent devant chez moi et qu’on a voulu détruire : ce lien tranquille et sensible à la nature, qui mène parfois au soin, mais aussi parfois simplement au plaisir de voir pousser des plantes et de les trouver belles.

Les amoureux de l’artificialisation se sentiront-ils encore longtemps légitimes à essayer de détruire le lien à la nature que d’autres qu’eux essaient d’avoir ? Va-t-il falloir faire une affaire d’État pour pouvoir vivre nos vies à notre manière, sans être traitées comme des sorcières ?

Sources :

Herboristerie en France, l’héritage de la collaboration

Les plantes ont été utilisées pour soigner depuis la nuit des temps dans de nombreuses cultures (aborigènes d’Australie, Egypte ancienne, culture greco-romaine, Mésopotamie, etc.). On retrouve certaines d’entre elles en usage partout dans chacune de ces cultures : la myrrhe (Commiphora myrrha), encens (Boswelia carterii), myrte (Myrtus communis) et cannelle (Cinammomum verum), d’après Pascale Gelis Imbert.

Les plantes étaient traditionnellement utilisées en onguent et en fumigation (sous la forme d’encens). La fumigation est l’ancêtre de la diffusion sous forme d’huiles essentielles. La première distillation d’huile essentielle semble être dûe à un médecin perse Avicenne (Ibn Sina), autour de l’an 1000. Ce serait le premier à avoir distillé l’huile essentielle de Rosa Centifolia.

Au Moyen-Âge, l’école de médecine de Salerne (Italie) s’est mise à enseigner et promouvoir la phytothérapie. Charlemagne au IXème siècle, a donné, au travers du capitulaire de Villis (acte législatif), un ordre aux gouverneurs de provinces de prévoir la culture d’arbres et de plantes médicinaux. Cela resta cependant pendant longtemps l’apanage des moines dans les monastères. Les huiles essentielles furent utilisées pour lutter contre les odeurs pestilentielles (de la peste) et, peut-être plus ou moins consciemment, comme antiseptique par les médecins en contact des malades de la peste.

Au XVIème siècle, Paracelse, un médecin suisse vu comme le père de la toxicologie, fut le premier à tenter de démontrer scientifiquement l’effet des plantes sur la santé.

La phytothérapie et l’herboristerie furent remis en question au XIXème siècle, à partir de la Révolution Industrielle. En effet, dans cette période, l’humanité devint capable d’extraire des plantes et de synthétiser des molécules médicinales : morphine, extraite de Papaver somniferum, aspirine et dérivés salicylés, extraits de Salix alba, digitaline (hétéroside cardiotonique), extraite de Digitalis purpurea, colchicine (alcaloïde anti-inflammatoire et antimitotique), extraite de Colchicum autumnale, acide phénique, utilisé dans les blocs opératoires par le baron Joseph Lister, chirurgien britannique, comme antiseptique et ayant fait chuter drastiquement la mortalité des patients opérés. Ces molécules extraites ou synthétisées furent préférées de plus en plus fréquemment aux plantes utilisées dans leur totum.

A la même époque, apparaît dans la médecine occidentale l’idée d’une division entre le corps et l’esprit (apparue avec les écrits de Platon et d’Aristote, d’après Wikipedia). Le corps est de plus en plus considéré comme un système autonome de l’esprit et même comme un ensemble de petits systèmes autonomes, dont la médecine s’occupe de façon dissociée.

La seconde guerre mondiale et la collaboration en France donnent un coup de grâce à l’herboristerie. En 1941, le maréchal Pétain interdit le diplôme d’herboriste. Seuls les pharmaciens sont désormais habilités à dispenser des plantes dites “médicinales”.

Quelques esprits précurseurs ont malgré tout continué la recherche expérimentale sur les huiles essentielles, domaine qui continue d’avoir une certaine popularité aujourd’hui. Parmi eux, figurent René-Maurice Gattefossé qui a développé l’aromathérapie scientifique, après avoir expérimentalement découvert l’extraordinaire efficacité de l’huile essentielle de lavande sur une brûlure grave et Pierre Franchomme qui a développé la notion de chémotype des huiles essentielles.

Nous vivons toujours aujourd’hui avec l’héritage légal du régime de Pétain au sujet de l’herboristerie. Serait-il temps de le remettre en question pour faire de nouveau de l’herboristerie un domaine vivant et le plus largement partagé possible ? On peut se rappeler que limiter la pratique de l’herboristerie aux pharmaciens d’officine limite sa promotion et son utilisation puisque le nombre de pharmaciens est limité par la législation à 1 pour 2500 habitants en France Métropolitaine.

Notamment, d’après le livre de Pascal Gélis Imbert, Mon grand manuel des huiles essentielles.